La vie de yogi #6 : Aparigraha ou le Non-attachement

Nous voici bientôt à la moitié de cette série sur les Yamas et les Niyamas, qui constituent chacun l’une des 8 branches du yoga.

Après Bramacharya, Aparigraha est le dernier des Yamas, ces « codes moraux », que les Yogis s’évertuent à intégrer dans leur vie. Aparigraha est souvent traduit par « Non-attachement ».

Le Sutra 2.39 des Yogas Sutras (la bible du Yogi) nous dit (j’utilise la traduction du Sanskrit vers l’anglais de Chip Hartranft) : « Freedom from wanting unlocks the real purpose of existence ».

Le non-attachement au quotidien 

Personnellement, Aparigraha est l’un des Yamas qui me parle le plus. Il faut dire qu’en termes de consommation, d’attachement aux choses, d’envie irrépressible de posséder telle ou telle nouveauté, je pars de très loin. D’aussi loin que je me souvienne, j’étais un panier percé, je m’achetais des babioles diverses et variées, que j’accumulais, en même temps que les dettes envers ma soeur (qui me prêtait son argent de poche quand j’avais terminé le mien). Je suis également affublée d’une collectionnite aigue (la fille qui a fait le tour des Monoprix de France en 2004 pour s’acheter des Labellos à tous les goûts existants ? …). Si vous lisez ce blog depuis plusieurs années, vous savez que cette tendance ne m’a pas quittée en vieillissant, et que j’ai, à un moment de ma vie, possédé environ 200 vernis dans des teintes variées, et aussi 12 fonds de teints, 16 palettes de fards à paupières, assez de crème hydratante pour plusieurs années… Et il ne faut pas se mentir, j’ai un peu plus de tapis de yoga que ce dont j’ai absolument besoin (même si j’arrive évidemment à trouver un rôle à chacun d’eux). Bref je n’ai pas toujours été écolo, raisonnable ou modérée dans mes choix de consommation. J’ai toujours été attirée par la nouveauté, les trucs qui brillent et l’envie de posséder absolument ce nouveau truc (quel qu’il soit).

Ce n’est qu’au cours de ces deux dernières années que ma consommation, mais surtout mon envie de consommer, ont vraiment et drastiquement baissé. Evidemment j’ai toujours régulièrement envie de telle nouvelle paire de baskets qui brille, ou de ce super tapis de yoga qui vient de sortir et qui a l’air hyper pratique et beau (et qui est plus est écolo)… mais la plupart du temps, je suis contente de ce que j’ai (et il faut bien dire que j’ai énormément de choses, matérielles ou non) et je réalise que je n’ai pas besoin de plus. Récemment, je me suis retrouvée face à mon huile de soin pour le visage vide… et je me suis contentée de verser de l’huile de chanvre de mon frigo dans le flacon vide (c’est peut être un détail pour vous, mais rappelons que j’avais avant toujours 5/6 crèmes d’avance que j’avais achetées sur un coup de tête).

Appliquer Aparigraha dans sa vie, c’est vouloir se détacher de « l’avoir » pour se recentrer sur « l’être ». Comme chacun des Yamas et des Niyamas, il s’agit d’une intention, d’une manière d’envisager sa vie et de chercher à rester sur cette voie du yoga, et non d’un dogme de vie ascétique loin de toute possession.

On entend parfois qu’acheter des objets en rapport avec notre pratique de yoga serait donc le summum du paradoxe : je m’éloigne des principes du yoga, et surtout d’Aparigraha, en achetant des leggings, tapis, bolsters ou blocs.

Bien que la question soit un peu plus subtile que ça, je n’adhère personnellement pas à l’idée selon laquelle toutes les marques de vêtements de yoga, de tapis de yoga, sont le diable en personne, des profiteurs qui cherchent à surfer sur la vague du yoga et que, vu qu’on peut bien faire du yoga en jean sur le parquet, et si on achète occasionnellement des leggings et des tapis pour notre pratique ou notre enseignement, on est un.e yogi.ni marketé.e en carton.

Mais évidemment, à chacun de trouver son équilibre dans le fait d’avoir besoin de porter un legging pour pratiquer (et le cas échéant, enseigner) le yoga, de disposer de tapis pour pratiquer… et de lancer une collection. Bien que je fasse spontanément partie de la deuxième catégorie, je me soigne.

Le non-attachement et les posture de yoga

Aparigraha, en tant que pratiquant du yoga, ne s’applique pas uniquement à notre vie quotidienne, mais aussi… à notre pratique. Et notamment aux asanas eux-mêmes, à la pratique physique du yoga.

A mes débuts au yoga, j’ai été assez vite attirée et bluffée par certaines postures (la posture sur la tête, ou même une simple flexion avant) et les progrès que je remarquais (« enfin, je touche mes pieds ») (« enfin, la posture sur la tête devient facile pour moi ») ou la frustration de ne pas avancer dans d’autres (Marichyasana A, ma frustration ultime matinale pendant de longs mois). J’étais même à la poursuite d’autres postures : travailler encore et encore telle posture, blessure ou pas blessure, parce que je voulais la réussir. Puis… cet attachement à certains asanas est passé. Pas de posture sur la tête pendant 1 mois à cause d’un torticolis ? Ok. Aucun progrès dans le grand-écart parce que j’ai une blessure à l’ischio jambier depuis un an ? Pas grave. Je faisais ma pratique, j’étais contente de pratiquer, point barre (NB : mon grand écart n’a pas énormément progressé par ailleurs). Je pensais avoir noué une relation saine avec les asanas, un quasi non-attachement et une absence d’attentes vis-à-vis de ma pratique (ce qui ne signifie pas ne pas se concentrer parfois sur telle ou telle posture, mais c’est la raison pour laquelle on le fait qui est plus importante : en ce moment par exemple, j’adore la posture sur les avant-bras, elle me met de bonne humeur, alors je la pratique tous les jours, et évidemment, il en découle des progrès. Mais je ferai peut être une pause le mois prochain et je stagnerai un peu dans cette posture, voilà tout).

Et puis j’ai attrapé un rhume. Et juste à la fin de ce rhume, ma fille n’a pas dormi pendant 2 nuits (elle avait 18 mois à l’époque). Ensuite j’ai eu mes règles et j’avais beaucoup trop mal au ventre ce jour-là. Après un total de 10 jours avec zéro pratique physique, niet, nada, j’étais extrêmement frustrée. J’avais l’impression de me ramollir, j’avais peur de perdre mes progrès dans certaines postures.

Le lendemain, je suis allée à Mysore Yoga Paris, où je pratiquais plusieurs fois par semaine à cette époque, et Kia, cette prof et personne fantastique, disait justement : « Someday there won’t be any asana practice anymore, someday we will have to let go of this too ». J’ai réalisé à ce moment que j’avais encore du progrès à faire, en termes de non-attachement.

Ces dernières années, je me détache aussi de la pratique physique. Bien que j’envisage ma pratique comme une nécessité quotidienne, et que la discipline qu’elle requiert soit l’un des Niyamas que l’on verra plus tard (d’ici 2020 au rythme où je vais), j’essaie de me détacher des postures. Parfois, ma pratique, c’est 10 minutes de méditation. Certains jours, c’est zéro pratique. Le lendemain, du Yin. Le jour d’après, 90 minutes de Mysore. Puis 60 minutes de Flow Mix.

Voilà pour ce Yamas, le dernier, que je trouve personnellement plus accessible que d’autres : plus facile à comprendre, plus facile à appliquer. Et j’ai le sentiment que, moins j’ai besoin « d’avoir », mieux je vais.

Dans une version beaucoup plus courte, vous laisse aller lire le post Instagram hyper inspirant d’Agathe à ce sujet, ici.

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11 thoughts on “La vie de yogi #6 : Aparigraha ou le Non-attachement

  1. Ca me parle beaucoup tout ça, j’ai l’impression que c’est beaucoup de ce que je pratique, mais avec un vocabulaire différent.
    Je suis passée de maquilleuse pro avec plusieurs maletes remplies à avoir ma vie qui doit tenir dans une valise pour les nombreux déménagements au pied levé.
    Je fais du sport à mon rythme, en m’écoutant, parfois il y en a plus, parfois il n’y en a pas du tout…

    • Ah mais oui, le vocabulaire change selon les courants et les influences de chacun, mais au fond, on se rapproche un peu des mêmes objectifs !
      S’écouter, ça a l’air facile, mais en vrai, c’est souvent le plus dur à faire !

      • Oui, je mesure le chemin parcouru là-dessus ces dernières années, c’est assez incroyable et c’est vraiment le plus beau cadeau qu’on puisse se faire !

  2. Bonsoir Carole !

    Super inspirant cet article (mes 56 pots de vernis à ongle tremblent dans leur boite) ! Ça fait relativiser sur plein de choses. J’ai bien aimé ton détachement aux asanas que tu pouvais faire ou pas selon les périodes. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est de trouver un équilibre entre vouloir tout faire tout bien à tout prix, et tout lâcher parce quitte à ne pas faire un truc bien, autant tout laisser tomber. Et dans ton lâcher prise, il a cet équilibre que j’admire beaucoup.
    Merci !

    Léonor, apprenti yogi

    • Ah oui le « tout lâcher parce que ça sert à rien » est en effet un beau piège 😀
      Merci pour ton commentaire 🙂 <3

  3. Ils sont toujours tellement interessant tes billets !
    Aparigraha me parle beaucoup aussi ! Comme toi, je reviens de loin (mon message sur mon répondeur était celui de Carrie Bradshaw « je reviens, je suis partie m’acheter des chaussures »), et je suis encore loin d’être parfaite, mais je n’en ai pas l’ambition !
    Dans ma pratique, je pense que ça n’est pas encore super ajusté, dans le sens où je me décourage vite et ne persévère pas des postures qui me semblent compliquées/inatteignables en me servant de l’excuse d’Aparigraha, mais je pense que c’est une fausse excuse et qu’il me faudrait bosser sur la discipline 😉

    • Merci !!!
      Hahaha pas mal le message sur le répondeur !
      Oui là je décompose les Yamas et Niyamas mais c’est vrai qu’ils sont hyper connectés les uns aux autres, et qu’ils s’envisagent comme un ensemble… le juste niveau de non-attachement, de discipline, de pureté, de lâcher-prise… Pas évident hein !

  4. Carole, ton post me parle beaucoup.

    Je suis en formation pour devenir instructrice, et c’est peut-être grâce aux principes philosophiques du yoga que j’ai pris cette résolution pour 2018 de cesser d’acheter des choses neuves. C’est difficile, et je ne m’y tiens pas toujours, mais les progrès sont spectaculaires. Je n’achète plus juste pour acheter, parce qu’une pulsion me faisais désirer tel ou tel objet dont je n’ai en fait pas besoin… ni vraiment envie.

    J’ai adoré ce que tu as dit sur l’attachement aux postures. Car il s’agit de plus que l’orgueil qui nous fait nous réjouir de mieux réussir un asana difficile que les copines. C’est quelque chose entre nous et les asanas. Comme des bagues que nous enfilons à nos doigts, des trophées que nous épinglons à notre boutonnière.
    Ainsi, pour d’avancer sur le chemin du Samadhi, doit-on accepter nos propres limites.

    Je viens de découvrir ton blog et ai beaucoup apprécié les posts que j’ai lus, fort bien écrits.
    Namaste !

    • Merci beaucoup pour ton message Alexine, ça me fait super plaisir !
      Oui, je me souviens qu’à une époque, je consommais tellement de trucs que je m’imposais des « no buy » : ne rien acheter pendant quelques jours relevait de l’exploit et je me vengeais ensuite ! Le comportement complètement frénétique !
      Et je découvre une nouvelle liberté à ne plus avoir d’envie compulsive de posséder de nouvelles choses… même si parfois elles pointent le bout de leur nez, elles sont tellement rares que ce n’est pas épuisant !
      Et clairement, cette relation entre les asanas et nous est vraiment personnelle, loin de la compétition avec les autres, mais une envie de « posséder » une posture, comme une bague, comme tu le décris si joliment.
      Beau cheminement à toi aussi… 🙂

  5. C’est super… profond ce dont tu parles et ça me touche, comme beaucoup je pense, car la société nous pousse à consommer alors je me retrouve forcément dans tes propos. J’ai moi aussi changé ma façon de consommer même si j’aurais encore des progrès à faire pour être « parfaite ».

    • Oh la perfection… est-ce qu’on devrait même vouloir l’atteindre ? Etre déjà sur le chemin d’un mieux, d’une consommation plus raisonnée, pour les autres, l’environnement et pour nous, c’est déjà si bien ! Et libérateur !

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