La vie de yogi #3 : Satya ou la Vérité

Si vous débarquez et que la dernière chose que vous avez lue ici est un article sur une soupe moche mais bonne, une crème solaire minérale efficace mais collante ou des postures du yoga acrobatiques et rigolotes et que vous vous demandez pourquoi on parle d’un coup philo et trucs sérieux, rendez-vous ici pour l’épisode 1, et là pour l’épisode 2.

Attention hein, j’adore la soupe et les croissants vegan, les cosmétiques cruelty-free et bio et efficaces m’intéressent au plus haut point, idem pour les vêtements jolis et produits dans des conditions décentes et évidemment, tenir en équilibre sur mes avant-bras est mon petit challenge personnel qui ne manque pas de piquant. C’est juste que dans une société où le yoga, le bio, le bien-être sont tellement à la mode, où les challenges Instagram se multiplient, j’ai envie de partager aussi autre chose. En l’occurrence, l’essence même du yoga (rien que ça).

Parlons donc de Satya, le deuxième des Yamas, ces observances morales que l’on cherche à appliquer au quotidien.

Satya est abordé au sutra II.36 des Yoga Sutras de Patanjali et il est traduit de cette manière par Chip Hartranft : « For those grounded in truthfulness, every action and its consequences are imbued with truth« .

Ce qui, en français, donne (selon ma version française sur Kindle) : « Quand on est établi dans un état de vérité, l’action porte des fruits appropriés« .

Toujours aussi lapidaires, hein, les sutras ?

Il n’y a pas une seule manière de comprendre ces sutras, pas une unique manière d’appliquer ces yamas. C’est justement l’effort constant pour vivre en accord avec ces principes qui EST le yoga (au-delà de la pratique physique).

Voici la manière dont Alessia, mon amie prof de yoga et coach le comprend, et cherche à l’appliquer :

« Comment je pratique Satya dans ma vie ? 

Le concept de « Satya » ou « Vérité » a beaucoup évolué pour moi, ces dernières années. Quand j’étais enfant, j’entendais les adultes de mon entourage dire « Les gentils enfants disent toujours la vérité », et j’essayais vraiment de dire la vérité, mais quand j’y repense, je réalise que je mentais plutôt pas mal, la plupart du temps des petits mensonges sans importance, de ceux qu’on profère pour ne pas blesser une personne ou faire plaisir à une autre. Mais ces mensonges m’empêchaient de vivre harmonieusement avec ma propre vérité.

Aujourd’hui, l’authenticité est l’un des traits de caractère qui m’attirent le plus chez les autres, et j’essaie d’être vraie au lieu d’être « sympa » avec les personnes qui m’entourent. Et de vivre une vie qui me correspond.

Comment je respecte Satya dans ma pratique du yoga ? 

Essayer de vivre en cohérence avec Satya me rappelle de m’écouter dans ma propre pratique du yoga. Ca veut notamment dire, pour moi, pratiquer ce dont j’ai besoin, et pas ce que font les autres. Ca signifie par exemple utiliser des briques ou autres soutiens au lieu de vouloir faire sans, juste pour prouver que je peux le faire. Ca veut dire faire du yoga doux ou restoratif quand je me sens fatiguée plutôt que de me contraindre à pratiquer du yoga dynamique alors que je ne suis pas en forme. Et ça veut aussi dire, parfois, ne pas faire de pratique physique de yoga du tout, même si je rate un super cours, parce que mon besoin du moment est plutôt de méditer ou d’écrire.

Mais la « Vérité » signifie aussi accepter mes limites et en particulier reconnaître que je ne suis pas prêter pour telle ou telle posture physique et que j’ai besoin du soutien d’autres professeurs et de temps pour apprendre au lieu de me sentir coupable et nulle de ne pas avoir atteint un niveau « suffisant ».

Comment notre société respecte Satya s’agissant d’une problématique qui me tient à coeur ? 

Pour moi, Satya signifie dire la vérité à notre propos et au sujet des autres. Il me semble que c’est un vrai sujet dans beaucoup de domaines de notre société.

Comme j’ai vécu beaucoup de changements s’agissant de mes choix de carrière et de profession ces deux dernières années, le monde professionnel est un domaine qui est important pour moi et dans lequel j’ai vu un vrai manque de véracité, de ma part et de celle des autres, qui ne me semble pas viable sur le long terme.

En ce qui me concerne, la première chose qui me vient à l’esprit est le fait de vouloir plaire aux autres. Faire plaisir aux autres dans notre travail (mais aussi dans d’autres aspects de notre vie) veut d’abord dire que l’on agit par peur et qu’on manipule les autres. Quand on agit de cette manière, on cherche à dissimuler qui on est vraiment, parce qu’on pense que notre vraie personnalité, nos vraies pensées, ne seront pas acceptées et que l’on sera rejeté par notre chef, nos collègues… et on dit ce qu’on pense qu’ils veulent entendre.

Je pense que ça contribue à créer un environnement de travail souvent malheureux et déconnecté. Les gens pensent qu’ils ont besoin de porter un masque au travail et prétendre qu’ils sont l’employé du mois, que leur chef leur demande d’être.

Je pense que les nouvelles générations sont en train de créer une révolution dans le monde du travail pour changer ce paradigme, mais il y a encore beaucoup de pain sur la planche. Une question que chacun pourrait se poser serait « A quel point suis-je moi-même au travail ? », pour commencer à changer certaines choses dès aujourd’hui. »

(Je ne sais pas vous, mais je trouve que la vision de Satya d’Alessia est hyper inspirante).

En ce qui me concerne, voici le fruit de mes réflexions sur Satya (issu des nombreux essais que j’ai rédigés pendant ma formation de prof de yoga l’année dernière) :

Satya dans ma vie : 

Satya est un principe difficile à appliquer pour moi. Au premier abord je ne suis pas une personne très « secrète » et je raconte volontiers ma vie, y compris des choses que notre société peut considérer comme taboues, comme mon salaire, mes soucis de santé, mes idées politiques, etc. Donc, dans un sens, je dis ce que je pense, ce que je suis, ce que je fais, sans chercher à me cacher.

Mais j’ai un peu plus de mal quand il s’agit de partager mes sentiments et émotions, souvent parce que j’ai moi-même du mal à réaliser ce que je ressens, surtout quand ce sont des sentiments négatifs : j’ai du mal à accepter d’être en colère, déçue, triste… J’ai tendance à me mentir à moi-même, ne pas reconnaître ces sentiments, en faire complètement abstraction. C’est évidemment la pire chose à faire, ces sentiments finissent toujours par remonter, multipliés par des jours, des semaines, des mois de négation. Alors je fais cet effort sur moi, au quotidien. J’essaie de reconnaître quand quelque chose me déplaît, me blesse. Et de le dire tout de suite. Même si ça fait de moi quelqu’un de moins sympa que ce que je voudrais, j’apprends à être chiante plutôt qu’une fausse gentille qui rumine dans son coin.

 Satya sur mon tapis de yoga : 

Comme Alessia, la première chose qui me vient à l’esprit quand on cherche à pratiquer en respectant notre « Vérité », c’est reconnaître ce qu’on est capable de faire ou non, d’abord, de l’accepter, ensuite (déjà un peu plus difficile) et de ne pas faire semblant de pouvoir le faire (le saviez-vous  : on peut tricher pour avoir l’air de réussir une posture ou une transition dans plein de séquences de yoga !) Mais le vrai travail, c’est bien de travailler, encore et encore, sur la posture de préparation, plutôt que de trouver un moyen de rentrer dans la posture sans vraiment engager les muscles importants (genre jeter ses jambes en l’air dans la posture sur la tête). Et aussi de faire une pause alors que tout le monde a l’air d’enchaîner les postures sans fatiguer, plutôt que forcer alors que c’est juste difficile pour moi aujourd’hui.
Récemment j'ai réalisé que j'avais beaucoup arrêté de travailler Sirsasana et que j'avais du coup perdu en aisance pour "monter" dans la posture. Sans trop m'en inquiéter, je me suis contentée de prendre un peu d'élan pour monter. Avant de réaliser que ça n'avait aucun intérêt : l'essence de la posture, c'est comment on y entre, comment on en sort. Pas je prends de l'élan pour faire une belle photo en équilibre sur la tête. Donc j'ai arrêté de le faire. Je re-travaille sur la préparation pour renforcer à nouveau les muscles nécessaires dans cette posture.
Récemment j’ai réalisé que j’avais beaucoup arrêté de travailler Sirsasana et que j’avais du coup perdu en aisance pour « monter » dans la posture. Sans trop m’en inquiéter, je me suis contentée de prendre un peu d’élan pour monter. Avant de réaliser que ça n’avait aucun intérêt : l’essence de la posture, c’est comment on y entre, comment on en sort. Pas je prends de l’élan pour faire une belle photo en équilibre sur la tête ou tenir la posture en cours. Donc j’ai arrêté de le faire. Je re-travaille sur la préparation pour renforcer à nouveau les muscles nécessaires dans cette posture.
Satya dans la société :
La violation de Satya est certainement la raison pour laquelle notre société est si violente envers les animaux. J’ai discuté tellement de fois avec des omnivores, des médecins, des restaurateurs, des personnes dont les parents habitent à la campagne à côté d’un petit élevage « humain »… et j’ai remarqué une chose. Les gens sont persuadés que manger des animaux, aller au zoo, porter du cuir et de la fourrure est absolument normal. Nous sommes élevés dans cette croyance. La plupart d’entre nous avons été élevés par des parents qui nous ont mentis, pour ce qu’ils pensaient être notre bien, parce qu’ils voulaient le meilleur pour nous. Or, on leur avait dit que le meilleur, c’était de manger de la viande, du fromage, de mettre des chaussures en cuir pour protéger nos pieds et des pulls en laine pour avoir chaud. Alors ils évitaient de nous expliquer trop en détail ce qu’était le boeuf, voire nous mentaient quand ils nous servaient du lapin parce que le lapin, contrairement à beaucoup d’autres animaux, on ne lui donne pas un autre nom quand on le mange (vache/boeuf, cochon/porc, poule/poulet… lapin/lapin). Le fait que consommer des produits animaux n’est pas absolument nécessaire pour le bon développement d’un enfant (et la bonne santé d’un adulte) commence à être de plus en plus reconnu par des organisations de santé à travers le monde, mais certains pays, dont la France, continuent de refuser d’admettre officiellement que ne pas manger de viande peut constituer une alimentation équilibrée. Alors l’Etat dit aux médecins et aux parents qu’ils faut manger de la viande. Les parents disent aux enfants que manger de la viande est normal et nécessaire. C’est comme ça que le mensonge à la base de notre cruauté envers les animaux commence. Avec la fausse certitude qu’on n’a pas le choix, que c’est la seule manière de faire. Récemment, je suis allée chez le médecin. Elle me disait qu’elle comprenait tout à fait le végétarisme, mais qu’elle ne voyait pas le mal (éthique) qu’il y avait à consommer des produits laitiers. J’ai rapidement mentionné les conditions d’élevage, les inséminations à gogo des femelles, la séparation des mères et de leurs petits, l’industrie du veau, etc. Elle m’a regardé d’un air surpris et a dit « Ah mais oui bien sûr, ce sont des mammifères ! Je n’avais jamais pensé à ça, on m’a dit toute petite que les vaches avaient besoin d’être traites, mais en fait ce sont simplement des mères allaitantes à qui on a enlevé leur petit ». Je me suis dit qu’on était tellement endoctrinés qu’un médecin en arrivait à ne pas réaliser qu’un mammifère femelle avait besoin de donner naissance à un petit pour produire du lait.
Bon après, je ne vais pas vous mentir, tout ça ne m’aide pas forcément au quotidien : autant je n’ai pas trop de mal à exprimer ces idées à des adultes, autant je suis vraiment mal à l’aise quand des enfants me demandent pourquoi je ne mange pas de viande. Je sais bien que leurs parents n’ont pas trop envie que je leur sorte l’artillerie lourde (le regard un peu affolé d’un parent quand son enfant me demande pourquoi je ne mange pas de viande = fou-rire intérieur à chaque fois) (bon le problème c’est que j’ai le même air affolé, parce que je ne sais pas vraiment quoi répondre), et je ne me vois pas non plus mentir et déclarer que je n’aime pas la viande, alors que c’est absolument faux (je n’ai pas encore trouvé la réponse idéale, correspondant à mon envie de ne pas mentir aux enfants, sans pour autant les choquer ni perdre l’amitié de leurs parents).
(Si les « mauvais arguments » contre le végétarisme vous passionnent, allez lire cet article).
En sens inverse, je suis choquée par les vegan qui veulent à tout prix démontrer que l’alimentation vegan est LA meilleure alimentation pour l’homme, qu’aucun supplément n’est nécessaire, qu’on n’a qu’à se nourrir de bananes et d’avocats pour être en super santé. Le fait est que la vitamine B12 est nécessaire, que le fer végétal est moins bien absorbé… Ca n’empêche pas d’être végétalien par conviction en veillant à avoir une alimentation équilibrée et en avalant son mini comprimé de B12 tous les jours, inutile de se mentir ou de mentir aux autres pour autant.

Est-ce qu’on arrive à appliquer Satya au quotidien, tout le temps ? Certainement pas. Appliquer les Yamas, ce n’est pas décider qu’à partir de maintenant, on ne va plus être violent, on ne va plus jamais mentir, à soi-même ou aux autres, et ne jamais déraper. C’est chercher le juste équilibre, chercher à appliquer toujours plus de Vérité, remarquer quand on a échoué, en prendre note, et faire mieux la prochaine fois (ou au moins essayer).

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3 thoughts on “La vie de yogi #3 : Satya ou la Vérité

  1. Ca fait du bien de voir un article sur le yoga qui parle de la vraie pratique, et pas seulement celle qu’on voit sur Instagram 🙂

    • 🙂 Merci pour ton commentaire (et désolée pour le temps de réponse, j’ai eu une période « blog en friche, gloups !)

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